L’objectif de création de valeur recherché lors d’un rapprochement d’entreprise demande de s’interroger en amont et pendant l’opération sur les stratégies à mettre en œuvre. Les échecs observés lors des opérations de fusion-acquisition permettent, à défaut d’une méthodologie infaillible, de dresser une liste de points à respecter.
I – Introduction : pourquoi un rapprochement d’entreprise :
La définition des objectifs d’un projet de rapprochement d’entreprise découle le plus souvent des contraintes extérieures auxquelles l’entreprise doit faire face :
- Les évolutions technologiques rapides et la modification des équilibres locaux / régionaux / nationaux. L’option de croissance externe doit donc permettre d’assurer une position renforcée plus rapidement que par la mise en jeu d’une croissance organique.
- La nécessité d’atteindre une taille critique pour répondre aux appels d’offre de grands groupes ou pour peser face aux fournisseurs.
- L’acquisition de parts de marchés, de compétences nouvelles, complémentaires, de moyens de productions supplémentaires, mobilisation de réseaux plus significatifs,
- La nécessité de répondre à des actionnaires extérieurs, soucieux d’une plus grande rentabilité (du fait de la dissociation de plus en plus marquée entre actionnaires et dirigeants),
Mais le plus souvent est mise en avant la recherche de synergies qui peuvent être :
- Économiques, par les économies d’échelle, réductions de coûts pour la production et en postes fonctionnels, par la diminution des charges externes, par la conquête de nouveaux marchés, en termes de territoires et de produits.
- Financières, par l’augmentation éventuelle de la capacité d’endettement, par la sur-valorisation obtenue.
Par ailleurs, ces motivations peuvent être commandées par des contraintes d’ordre défensif, en réaction aux mouvements du marché (empêcher un concurrent d’acheter un autre concurrent), ou imposées (saturation du marché, ouverture de marchés, globalisations). Elles sont aussi dictées par les caractéristiques de l’entreprise, taille, étendue des activités, position sur son marché, compétences techniques, complexité et types des produits.
Ces contraintes ou motivations ne sont pas exclusives les unes des autres, et certaines découleront en conséquence d’une politique de croissance externe.
Reste pour que ces objectifs puissent être atteints et que l’opération soit réellement relutive pour les actionnaires (création de valeur) à respecter une démarche d’analyse précise des points clés du rapprochement.
II – Les points clés pour réussir une opération de rapprochement
a - Bien définir de la cible
Toute stratégie doit découler d’un projet de développement clairement défini par rapport à l’entreprise sur son marché avec ses fournisseurs, face à ses concurrents, et placé dans le temps.
On retient traditionnellement la segmentation suivante :
- croissance horizontale : la cible agissant sur un même marché, il va alors être question de racheter un concurrent,
- intégration verticale : la cible intervient en amont ou aval de l’activité et la recherche va concerner un client ou un fournisseur.
- diversification : le métier de la cible est sans rapport avec celui de l’entreprise qui est à l’affût, l’approche est alors stratégique, par la diversification des actifs, ou encore financière, par la recherche d’effet de leviers divers.
Les décisions concernant les options dépendent de la situation de la société dans son marché face à sa concurrence : ainsi la tendance forte de la période actuelle consiste à se recentrer sur les savoir-faire fondamentaux, donc d’abandonner les pistes menant à la constitution de groupes rentables, mais aux métiers épars.
Par ailleurs, les motivations vont évoluer au cours de la vie de l’entreprise : en phase de maturité, l’entreprise va chercher à absorber ses concurrents et/ou à réduire ses coûts (croissance horizontale/intégration), en phase de développement elle va privilégier la recherche d’intégration, et en phase de déclin, elle va rechercher plutôt des relais de croissance en investissant des créneaux en croissance (diversification).
b - Trouver le mode de rapprochement le plus approprié
Les modalités de réalisation d’une opération de croissance externe peuvent emprunter divers cheminements : accords de partenariats, apports partiels d’actifs, apports de titres, échanges de titres, fusions-absorptions.
- accord de partenariat : cet accord, qui recouvre des champs de collaboration divers, peut constituer un préalable à une inter-relation plus intime des relations capitalistiques entre deux structures.
- acquisition partielle ou totale d’une autre entreprise. En général, la prise de participation sera majoritaire mais on pourra laisser une part de capital plus ou moins importante à l’actionnaire cédant afin qu’il reste impliqué dans le développement de sa société.
- fusion entre deux structures : cette dernière éventualité étant l’aboutissement du rapprochement de deux sociétés.
Cette problématique est particulièrement vraie pour les entreprises soucieuses de s’implanter à l’étranger et dont le besoin de capitaliser sur une marque va être fort.
Une mention spéciale doit être portée à l’adossement : L’adossement va représenter, pour un chef d’entreprise, une réponse à la problématique du développement, quelle qu’en soit la motivation, en s’appuyant sur une autre société pour assurer sa croissance.
Confronté à la nécessité du développement, à une période d’incertitude face aux évolutions du marché, des technologies, à une usure de sa dynamique, le chef d’entreprise peut et doit penser ou repenser son projet. Cette solution consiste à abandonner certaines prérogatives pour se concentrer sur ses préférences en matière de savoir-faire, de manière à continuer de progresser.
À lui de jauger ses priorités, les risques liés à l’entêtement, face aux contraintes de l’adossement, qui vont l’amener à la perte du pouvoir, certes, mais aussi à un nouveau confort qu’il avait perdu ou encore oublié.
Toute la question va résider dans l’acception de la perte du pouvoir, mais combien, comment et jusqu’où ?
c - Payer le juste prix
La première des causes d’échec trouve son origine dans le financement de la reprise. Une valorisation excessive, donc un coût d’accès trop élevé au rachat d’une autre entreprise obère les chances de succès de l’opération, car elle risque, en particulier, de provoquer une recherche forcée et effrénée de la rentabilité, objectif initialement non inscrit, rajoutant un niveau de pression sur les salariés et cadres, déjà mis à mal dans leurs univers.
Il s’agit donc d’un facteur important à surveiller et qui participera au projet par la cohérence qu’il lui confère : la fixation du prix est un élément clef de la négociation du rapprochement. Dans le cadre d’un adossement, l’offre de prix doit intégrer la valeur actuelle et la valeur future, conséquence favorable escomptée du rapprochement.
Au montant du rachat, il ne faut pas oublier de rajouter les coûts de restructuration : les coûts visibles liés aux licenciements, aux frais de déménagement, d’implantation et de re-localisation des équipements (anciens et nouveaux, ceux récupérés grâce au rapprochement), aux frais de formation éventuels. Mais comment budgéter les coûts invisibles, difficiles à apprécier, du fait de la perte de productivité provisoire des équipes, du temps nécessaire pour que les équipes retrouvent leurs repères, pour qu’une pièce, cassée lors du transfert des équipements soit livrée et l’appareillage à nouveau en ordre de marche ??
d - Définir un projet d’entreprise en s’appuyant sur des synergies réelles
Un des facteurs clefs de réussite d’une opération de rapprochement réside dans la capacité à présenter de façon claire le projet, sans chercher à minimiser les risques de l’opération. Il est ainsi primordial de procéder à une analyse préalable approfondie de la situation en termes de forces mais surtout de faiblesses.
L’analyse préalable doit permettre de valider les apports réels de l’opération de regroupement, et de ne pas découvrir, à posteriori, la dissonance des métiers des entreprises, ni par exemple, qu’il n’y aura pas apport ou transferts de compétences.
Les synergies doivent être mise en avant dès la définition du développement, qui va préciser les axes de recherche des cibles, lesquelles cibles, dont on va chercher à se rapprocher, vont permettre de mettre en œuvre les complémentarités.
Pour une société de production, il est moins problématique d’harmoniser des process de fabrication : un imprimeur peut chercher à acquérir un nouveau format de presse qui va l’autoriser à approcher ses clients avec une palette plus large dans sa capacité d’impression de documents. De la même manière, il peut imaginer d’intégrer un atelier de pré-presse, qui va lui permettre de maîtriser la chaîne des imprimés.
Pour une société de services, la recherche de synergies peut paraître aussi évidente, mais pourra être plus subtile à apprécier, en termes d’équipes, de systèmes d’organisation internes.
Cette recherche de synergies doit être réalisable, et non pas relever du seul fantasme ou désir de puissance du chef d’entreprise.
e - Préparer l’intégration de la nouvelles entité
Une intégration réussie suppose la définition d’un plan qui va traduire la même démarche que celle de gestion de projet, afin de piloter les étapes de l’intégration. La stratégie doit être déclinée en tâches et objectifs, avec des échéances réalistes et validées par les groupes de travail qui auront été constitués, afin de bénéficier d’instruments de suivi du rythme d’intégration.
Ainsi le déménagement d’une usine de production, oeuvrant dans la métallerie, avec un effectif de 35 personnes, demande une préparation de l’ordre dans lequel les machines seront transplantées, ce qui pré suppose un plan d’accueil et une prévision de la nouvelle organisation de la production.
Pour le chef d’entreprise, il s’agit de réaliser en priorité les objectifs qu’il s’était fixés au préalable et pour lesquels l’opération de rapprochement a été menée.
f - Maîtrise de la dynamique et motivation des équipes
Le rapprochement de deux entités entraîne, inévitablement, des suppressions d’emploi, qu’elles soient voulues, production, services généraux et administratifs, ou forcées, du fait de l’inertie ou de l’opposition de certaines équipes. Il s’ensuit une dégradation du climat préjudiciable aux objectifs à l’origine du projet de regroupement. Souvent, d’ailleurs, les entreprises omettent d’allouer des ressources, temporaires, pour préparer et gérer le programme du rapprochement et les modifications qui ne manqueront pas.
La réussite d’une opération de rapprochement est étroitement liée à la gestion des facteurs culturels et managériaux de l’entreprise cible. En effet, dans une entreprise il y a des habitudes, des usages, un sociogramme, qu’il va falloir faire évoluer. L’annonce d’une opération de rapprochement constitue une atteinte à l’ensemble organisationnel, managérial et relationnel de l’entreprise. Une intégration peut induire des changements substantiels des conditions et des modes de fonctionnement. La grille des salaires, la gestion des heures supplémentaires peuvent varier d’une structure à l’autre.
En fonction des tailles des entreprises et de la complexité de la mise en œuvre, va dépendre l’importance des ressources qu’il faudra allouer à la cellule chargée de piloter l’intégration.
g - Eviter la guerre des chefs
C’est incontestablement la principale des sources d’échecs. Soit qu’elle intervienne au niveau des cadres dirigeants, qui entraînent leurs équipes, soit au sommet des pyramides où l’ego des uns cède au prestige des autres.
Pour ce qui concerne les petites structures, l’analyse des forces et faiblesses, des opportunités et des menaces, sera menée par le chef d’entreprise, seul ou en contradiction avec un de ses conseils. La définition de l’organisation cible se fera en concertation avec le cédant, du moins, pour ce qui concerne les moyens de l’entreprise absorbée. Il nous semble important d’attacher une importance toute particulière à la présentation de la cohérence de l’opération menée, de manière à entraîner l’adhésion des salariés et du management.
Cette cohérence sera renforcée par la qualité du plan de communication, destiné entre autres à assurer un socle culturel et managérial commun. Ce socle va s’édifier sur la communication interne, et sera renforcé par l’effet boomerang de la communication externe, qui va flatter l’image du groupe.
III – Conclusion
Ainsi, de la même manière que nous portions une attention toute particulière à la préparation opérationnelle du rapprochement, il nous semble utile de rappeler que la préparation de la fusion devrait prendre en compte en priorité le souci du facteur humain dans l’opération de rapprochement.
Dans ce cas de figure, l’audit d’acquisition doit avoir lieu avant le protocole d’accord de manière à valider les informations et préparer au plus juste l’opération, selon la vitesse d’exécution qui aura été décidée.
L’intégration devrait viser en premier lieu les champs de consolidation opérationnels, qui serviront d’indicateurs de progression de l’opération.
Les fonctions tranversales donneront l’occasion de rationalisations sans trop de risques sur les performances.
Pour ce qui concerne le management, le projet de rapprochement doit trancher le dilemme de la bicéphalité : l’unité constituée autorise-t-elle de mettre en place « un groupe et deux sociétés », ou bien, faut-il rapidement procéder à la définition et à la mise en place des équipes d’exécution.
Si le rapprochement prévoit le maintien du dirigeant, non seulement le pacte d’associés aura été largement fouillé et acté, avec des clauses de sorties dûment validées, mais son rôle au sein de la structure aura été clairement établi. Ce qui suppose, ici encore, le contrôle de l’information et l’exploitation de la remontée de l’expérience.
Ainsi toute opération de rapprochement, aussi simple puisse-t-elle apparaître, mérite-t-elle une étape de réflexion, suivie de la préparation de l’opération. Le rapprochement va demander de concentrer beaucoup d’énergie pour s’assurer de son bon déroulement et de la tenue des objectifs.