Par François AYACHE, du Cabinet Gestion, Conseil & Développement. et Maître David TREGUER, Avocat au Cabinet FIDAL. Pourquoi l’earn out peut-il avoir toute son acuité dans certaines opérations de cessions – reprises aujourd’hui ? A cause de la conjoncture actuelle et des premiers résultats issus de l’exercice 2009 ! Ils rendent parfois difficiles les accords sur le prix entre cédants et repreneurs dans le cadre de la transmission d’entreprises. Les résultats 2009 sont le plus souvent en retrait et donc les valorisations en pâtissent. D’où deux attitudes possibles de la part du cédant : a) Le conflit. Le cédant considère qu’il n’a pas bossé 20 ans de sa vie dans sa société pour se voir proposer une valorisation parfois 30 % inférieure à celle qu’il pouvait escompter avant la crise financière. Le repreneur, quant à lui, considérant objectivement les chiffres de l’entreprise, se dit qu’il n’aura aucun financement bancaire ni de garantie d’OSEO si la valorisation est en décalage avec la réalité observée…et qu’il n’a aucune raison (ni moyen !) de surpayer la cible. b) La remise de la cession à plus tard. « Très bien, je vais travailler encore deux ans, je vais redresser la situation. Ma boite a du potentiel ; mes clients ont eu, eux-mêmes, des difficultés qui ont vu diminuer leurs commandes envers moi. Je sais qu’ils ont des besoins et qu’ils me font confiance. On verra donc plus tard pour la cession et je vendrais à un prix normal ! » Voilà donc la cession reprise en échec. Et de bonne foi de la part des parties !… C’est là que l’earn out peut prendre sa place pour rapprocher les positions inconciliables des parties. Quelles sont les modalités de la mise en place d’un earn out dans une opération de cession reprise de titres sociaux ? Tout d’abord, rappelons que l’earn out constitue un complément de prix qui sera versé au cédant dès lors que l’activité de la société-cible atteint un certain niveau de performance à venir, défini dans l’acte de cession. Ce niveau de performance permettant l’obtention de l’earn out pourra être calculé à partir d’une ou plusieurs variables telles que le chiffre d’affaires, le résultat d’exploitation, l’obtention d’un contrat déterminé ou plus généralement l’évolution de la clientèle. Certains praticiens présentent parfois comme une variante de l’earn out, la solution consistant à prévoir une vente fractionnée avec un prix de la partie différée de la vente, déterminé en fonction de variables. Il conviendra d’être attentif à ne pas subordonner le déclenchement du versement de l’earn out à une formule trop complexe et dont la mise en œuvre serait source de conflits. Pour éviter cet écueil, il conviendra de rédiger avec soin cette clause en s’assurant (1) qu’elle est compréhensible pour tout lecteur de l’acte de cession qui n’aurait pas assisté aux négociations entre cédant et acquéreur et (2) que sa mise en œuvre et son contrôle sont possibles. Vente totale ou vente fractionnée ? Et sur quelle durée ? Le cédant partant à la retraite, y compris pour des raisons de limitation de risque, préfèrera vendre la totalité des titres sociaux dès aujourd’hui. L’earn out est déjà un échelonnement du paiement du prix…. Quant au repreneur, s’il veut disposer des avantages de l’intégration fiscale, il faut qu’il dispose d’au moins 95 % des titres pour en bénéficier. Quant à la durée : de un à trois ans. Quels sont les risques à éviter en matière d’earn out ? La clause instituant un earn out doit être rédigée précisément pour éviter des interprétations divergentes entre un cédant et un acquéreur dont les intérêts sont opposés. L’attention portée à la rédaction de ces clauses s’explique également par la nécessité d’éviter plusieurs écueils juridiques : En premier lieu, il est évident que le ou les critères déterminant le versement ou non l’earn out doivent être définis avec la plus grande précision. Ainsi, si l’earn out est en fonction du chiffre d’affaires ou du résultat de la société, il conviendra par exemple d’indiquer la période de référence et la clientèle prise en compte : le calcul est-il limité à la clientèle existante au jour de la cession, auquel cas annexer une liste de cette clientèle paraît indispensable, ou le calcul est-il basé sur l’ensemble de la clientèle existante sur la période de référence ? A défaut d’une telle précision, la mise en œuvre de l’earn out sera impossible et le prix de cession sera indéterminable, ce qui peut être de nature à remettre en cause la validité de la cession. En second lieu, la clause ne doit pas être purement potestative ce qui sera le cas si l’acquéreur a le pouvoir de provoquer ou d’empêcher, unilatéralement, la réalisation de la variable de déclenchement de l’earn out. La jurisprudence de la Cour de Cassation a eu l’occasion à plusieurs reprises de valider le principe du mécanisme de l’earn out ; la clause, si elle est correctement rédigée, ne sera donc pas remise en cause. Par un arrêt du 19 janvier 2010, la chambre commerciale invite les juges du fond à contrôler le caractère potestatif ou non d’une clause d’earn out ou analysant le mécanisme tel qu’il résulte de l’acte de cession et non en appréciant l’éventuelle bonne ou mauvaise foi des parties au moment de l’exécution de la clause. Enfin, si le cédant continue une activité dans la société cédée, l’earn out ne doit pas constituer la rémunération de l’activité du cédant. Si tel était le cas, les Administrations fiscale et sociale ne manqueront pas de requalifier l’earn out en salaire avec toutes les conséquences financières que cela implique tant pour le cédant que pour l’acquéreur (charges sociales, absence d’application du régime d’imposition des plus-values mais imposition pour le cédant de l’earn out comme un salaire). Le calcul du montant de l’earn out devra également être défini précisément. Il conviendra en tout état de cause de faire preuve d’un minimum d’anticipation pour tenir compte de l’impact éventuel de la rémunération du cédant, des éventuels honoraires de prestations de service qui seront versés à la société Holding du repreneur ou encore de l’impact des investissements réalisés par le repreneur, qui vont immanquablement diminuer le résultat. Quel avantage fiscal le cédant trouvera – t – il dans l’earn out ? Au plan fiscal, il faut noter que le cédant ne sera imposé sur la plus-value résultant de la perception de l’earn out qu’au jour où celui-ci est effectivement encaissé, et ce dès lors que la détermination de l’earn out est exclusivement basée sur l’évolution de l’activité de la société. L’Acquéreur devra, quant à lui, pour le calcul des droits d’enregistrement, procéder à une estimation du prix de cession, earn out compris, pour déterminer le montant des droits d’enregistrement dont il doit s’acquitter. Bien entendu, cette estimation est provisoire et pourra être précisée à la hausse comme à la baisse suite au règlement effectif de l’earn out. L’acquéreur sera alors, s’il y a lieu, astreint à verser un complément de droits d’enregistrement ou il pourra réclamer le remboursement du trop perçu. En matière de financement, comment cela va – t – il se passer avec la banque ? Attention ! La banque va déterminer son prêt sur la base de la partie payée tout de suite. L’earn out étant un complément de prix calculé en fonction des éléments économiques futurs… Ce sont précisément ces éléments économiques qui vont servir à payer le complément de prix. La banque n’intervient nullement. Il ne faut pas que le repreneur l’oublie… S’il y a complément de CAHT, de marge brute, d’EBE, ou résultat courant ce sont ces éléments qui vont servir à payer l’earn out. Pas un nouveau financement bancaire. C’est là que l’on saura si l’earn out va jouer. A complément de résultat, complément de prix. Pas de complément de résultat, pas de complément de prix ! Qu’est-ce qui garantit au cédant que le repreneur va jouer le jeu ? Et que le cédant touchera bien son earn out ? Quelles garanties faut-il prévoir ? Hormis une bonne rédaction de la clause d’earn out, il ne faut pas oublier que l’earn out est étroitement lié à la pérennité et au développement de la société cédée. Dans ce contexte, il me semble que le meilleur gage dont dispose le cédant vis-à-vis de l’acquéreur est son patrimoine professionnel : la société elle-même. Il est évident que la vente fractionnée garantit un peu plus le cédant puisqu’il conserve une partie des titres de la société cédée jusqu’à l’encaissement de l’earn out. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue l’avantage de l’intégration fiscale pour le repreneur lié à l’acquisition d’au moins 95 % des titres. Sur quelle « variable » baser l’earn out ? Il n’y a pas de règle mais des cas particuliers. Si l’on donne un rôle de développeur au cédant, ce peut-être le CAHT ou la marge brute dégagée. Si l’on veut avoir à éviter de parler d’investissement, l’EBE est tout indiqué. On peut indiquer, par exemple, que la clause joue à partir d’un certain niveau d’EBE qui est reversé au cédant, avec un plafond. Si l’on souhaite associer le cédant à la bonne exploitation de la société le REX ou le RCAI peuvent être pertinents. Ce complément de prix sera considéré comme un profit de cession et non pas comme un revenu. Faut-il avoir recours à un tiers en cas de désaccord ? Le recours a un tiers indépendant pour trancher un litige sur l’exécution d’une clause d’earn out est tout à fait appropriée. En effet, en cas de litige, seul un tiers pourra trancher les points de désaccord, c’est pourquoi suivant les variables retenues dans le cadre de la clause d’earn out, il est tout à fait judicieux de définir par avance un expert ou un sachant pouvant trancher en toute indépendance les points soulevés par les parties.
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