Comment utiliser les options réelles dans l'évaluation des entreprises ?


Par Jean-François PANSARD, PANSARD et ASSOCIES
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Jean-François PANSARD PANSARD et ASSOCIES
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Comment utiliser les options réelles dans l'évaluation des entreprises ?

Les limites des méthodes classiques d'évaluation ont conduit les chercheurs à développer une approche qui connait un succès grandissant : la méthode des options réelles. Celle-ci permet en effet de prendre en compte le pouvoir de décision des dirigeants d'entreprises et donc leur capacité de réaction face aux données nouvelles qui leur sont apportées au fil du temps. Nous allons tenter de vous donner au travers de cette introduction une compréhension simple du sujet.

1) Les circonstances historiques qui ont entouré l'apparition de cette méthode

L'approche de la valeur d'un actif par la somme des flux actualisés qu'il procure remonte à la première moitié du XXème siècle. Elle fut d'abord utilisée pour évaluer des obligations. Ce type d'actif avait l'avantage de procurer des rendements réguliers, connus à l'avance, avec un niveau de risque qui dépendait uniquement de la qualité de la signature de l'émetteur et du niveau d'inflation. On utilisa ensuite cette méthode pour évaluer la valeur des actions.

La question du risque se présentait alors différemment car le rendement d'une action est par nature aléatoire. Le problème du lien entre le niveau de risque et le taux d'actualisation se posait alors de façon évidente. Ce problème occupa les chercheurs pendant une trentaine d'années et aboutit durant les années 60 au modèle standard connu sous le nom de Medaf qui rencontra un succès immédiat  chez les professionnels. Ce modèle avait le mérite indiscutable de caractériser le risque sous une forme aisément compréhensible. Celui-ci était en effet représenté par la volatilité du rendement, définie par l'écart type de celui-ci.

En comparant la volatilité d'un actif avec la volatilité globale du marché on pouvait mesurer le risque relatif de cet actif et donc déterminer le coût du capital qu'il convenait de lui appliquer. Le bêta d'un actif, mesure de la covariance du rendement de l'actif et du rendement du marché, allait donc devenir le paramètre de mesure du risque le plus utilisé. Cette approche, qui suppose que l'investisseur ait parfaitement diversifié ses risques, est encore aujourd'hui la plus utilisée sur les marchés.

La méthode des cash-flows actualisés, qui avait longtemps hésité sur le taux d'actualisation à utiliser, disposait enfin d'un concept qui lui permettait d'adapter ce taux au niveau de risque du projet analysé. Les professionnels et les entreprises n'hésitèrent pas à l'utiliser très largement, que ce soit pour l'évaluation des entreprises ou pour l'analyse de projets d'investissement à l'intérieur des entreprises.

Certains chercheurs étaient néanmoins peu satisfaits de cette solution. Ils avaient le sentiment que cette approche, qui trouve son origine sur le marché financier, ne prenait pas en compte la capacité réelle des entreprises à adapter leur action à l'évolution de leur environnement. Il y avait une contradiction entre le rôle des dirigeants d'entreprises qui consiste à adapter sans cesse leurs décisions au contexte nouveau, et les hypothèses de la méthode qui considéraient que les données de départ avaient un caractère intangible. La démarche passive, parfaitement adaptée à un porteur d'obligations ou à un actionnaire minoritaire dans une entreprise cotée en Bourse, ne pouvait pas convenir pour des dirigeants d'entreprises qui disposaient d'un pouvoir de décision et donc de la capacité de prendre en compte les informations nouvelles qui leur étaient apportées au fil du temps.

Comme bien souvent, c'est l'apparition de nouveaux outils qui allait permettre de résoudre ce problème. En 1973, Black et Scholes * publiaient l'article qui permettait enfin d'évaluer de façon précise la valeur d'une option. Ce problème qui avait occupé les chercheurs depuis plus d'un demi-siècle trouvait enfin une solution élégante, facile à mettre en oeuvre, qui en faisait un outil à la portée de tous les professionnels. Jamais dans l'histoire de la finance, un concept académique n'avait rencontré un tel succès auprès des praticiens. Aujourd'hui encore sur tous les marchés financiers la formule de Black et Scholes est utilisée quotidiennement par des milliers d'opérateurs.

Les chercheurs ne mirent pas longtemps à s'apercevoir que l'on pouvait utiliser ce nouvel outil pour résoudre le problème de la flexibilité. Les premiers travaux furent publiés dans les années 80 et les premières applications pratiques apparurent au début des années 1990. L'idée intuitive que le risque est en même temps porteur d'opportunités trouvait enfin une méthode qui permettait de quantifier ce phénomène. L'aléa qui avait été considéré traditionnellement dans la méthode des cash-flows actualisés comme un aspect négatif, était aussi porteur de valeur puisqu'il permettait, par une action appropriée, de saisir des opportunités. Cette approche fut baptisée "Option réelle" pour la distinguer des "Options financières" qui étaient utilisées sur les marchés.

2) Les composantes de la valeur d’une option

Pour rappeler brièvement les composantes de la valeur d'une option, il convient d'abord de définir celle-ci. Une option est le droit que possède un agent économique d'effectuer une certaine opération. Ce n'est donc pas une obligation. C'est cette faculté d'exercer librement son pouvoir de décision qui en fait la valeur pour cet agent économique. Il peut en effet modifier sa décision selon l’évolution de l'environnement. Les options les plus simples à comprendre sont les options de vente et d'achat. Une option d'achat sur un immeuble est le droit d’acheter cet immeuble jusqu’à une certaine date pour un prix fixé à l’avance. La question de la valeur de cette option se pose donc tout naturellement.

Cette valeur est fonction de cinq paramètres.

     - Deux de ces paramètres sont tout à fait intuitifs. L’un est la valeur actuelle de l'immeuble, l'autre est le prix auquel cet immeuble pourra être acheté, ce que l'on appelle le  prix d'exercice. Plus le prix d'exercice est faible par rapport à la valeur actuelle, plus l'option d'achat aura de la valeur.

     - Deux autres paramètres sont eux aussi compréhensibles aisément. Il s'agit de la durée de l'option et du taux d'intérêt sans risque. Plus la durée sera longue et plus l'option aura de la valeur. De la même façon, plus le taux d'intérêt sera élevé et plus l'option aura une valeur élevée car ici, l'opérateur diffère son investissement.

     - Le cinquième paramètre est un peu moins intuitif. Il s'agit de la volatilité de la valeur du bien. Si cette valeur est très stable au cours du temps, l'opérateur n'aura que peu intérêt à différer l'acquisition. Si par contre cette valeur est sujette à de fortes fluctuations, l'opérateur pourra alors bénéficier d'une période de hausse des prix pour exercer son droit d'acquisition. Ce sont donc les biens les plus volatils qui bénéficient d'une plus forte valeur d'options. C'est généralement l'écart type qui matérialise la volatilité.

Pour prendre un exemple très simple, imaginons un immeuble dont la valeur actuelle est de 1 million d'euros. Supposons que la variation possible sur une année de cette valeur soit 20 %. Au terme d'une année la valeur de l'immeuble sera donc dans le cas favorable 1 200 000 € et dans le cas défavorable de 800 000 €. Le titulaire d'une option d'achat dont le prix d'exercice est de 1 million d'euros ne l'exercera que dans le cas favorable, et dans ce cas il réalisera un gain de 200 000 €. Comme, par hypothèse, la probabilité de se trouver dans le cas favorable est de 50 %, l'espérance mathématique de son bénéfice sera de 50 % que multiplient 200 000 € soit 100 000 €. C'est cette somme qu'il devra verser au propriétaire de l'immeuble pour bénéficier de l'option d'achat. L'approche que nous venons d'utiliser est dite binomiale. La formule de Black et Scholes correspond à une généralisation du cas simple que nous venons d'évoquer.

3) Application de cette méthode dans le contexte de l'évaluation des entreprises

L'évaluation d'entreprise peut utiliser les options de trois façons différentes.

     1 - On sait en effet que la valeur d'une entreprise est généralement estimée à partir des cash-flows futurs qui bien évidemment s'appuient sur la rentabilité actuelle. Il est très rare que l'évolution de l'entreprise se déroule de façon stable et linéaire. La plupart du temps arrivent des événements non prévus qui peuvent être des surprises positives ou négatives. L'évaluateur doit donc inclure cet aspect dans son analyse. Il le fera en incorporant dans l'examen de l'entreprise des options de croissance ou de repli. Si l'on compare par exemple deux entreprises, ayant la même rentabilité, mais dont l'une ne peut opérer que sur un marché régional alors que l'autre peut potentiellement se développer à l'exportation, il est clair que la seconde bénéficie d'une option de développement qui est un facteur de valeur. Même s’il est parfois difficile de quantifier cette option de croissance, il est certain qu'elle impactera de façon significative sur l'estimation de la valeur. Dans le même ordre d'idées, si une entreprise est confrontée à des événements non prévus ayant un caractère négatif, il faut savoir si elle est en mesure de se replier facilement, soit en procédant à des cessions d'actifs, soit en réduisant son effectif d'une façon qui ne soit pas trop coûteuse. Cette approche est largement utilisée dans l'évaluation des chaînes de distribution qui peuvent récupérer en cas de difficultés des valeurs d'actif très significatives en cédant les fonds de commerce dont la rentabilité n'est plus suffisante. Nous sommes dans ce cas en présence d'une option de vente dont la valeur peut être très significative par rapport à la valeur d'entreprise.

     2 - Il existe une deuxième façon d'utiliser la méthode des options dans l'évaluation d'entreprise. Elle concerne particulièrement les entreprises nouvelles ou en difficultés. Dans ce cas, l'analyste se trouve confronté à deux difficultés :

     - l'entreprise ne bénéficie pas d'un historique permettant d'estimer les revenus futurs.

     - l'endettement peut être supérieur à la valeur d'actif estimé en fonction de la rentabilité présente.

Ici, l'incertitude qui est généralement considérée comme un facteur négatif peut devenir un élément positif dans l'estimation de la valeur d'entreprise. En effet, si l'incertitude est grande cela signifie que l'entreprise peut, à un horizon de quelques années, avoir une rentabilité significativement différente de celle qu'elle a aujourd'hui. Le détenteur d'actions se trouve donc dans une situation équivalente à celle d'un porteur d'options qui devrait pour devenir propriétaire d'un actif, payer un prix d'exercice qui, dans ce cas, serait l'équivalent des dettes de l'entreprise.

Illustrons ce cas par un exemple :

Soit une entreprise dont la valeur d'actif actuel est de 10 millions d'euros. Cette valeur fluctue de plus ou moins 30 % par an. L'entreprise porte un endettement de 15 millions d'euros dont l'échéance est à cinq ans. Une analyse instantanée pourrait considérer que la valeur des actions est nulle puisque la dette est supérieure à la valeur d'actif. Mais, le fait que cette dette a une échéance à cinq ans, a une conséquence importante. En effet, pendant cette période la valeur de l'entreprise peut fluctuer de façon considérable si bien qu'il n'est pas impossible que dans cinq ans la valeur d'entreprise soit par exemple de 25 millions d'euros. Dans ce cas le titulaire d'actions qui devra rembourser la dette de 15 millions bénéficiera d'un droit dont la valeur sera d'environ 10 millions d'euros. Si par contre, la valeur d'actif est inférieure à 15 millions d'euros, le titulaire d'actions peut choisir, selon le principe de la responsabilité limitée des actionnaires, d'attribuer les actifs aux créanciers. On voit donc que la volatilité du résultat, facteur négatif pour les créanciers, est un facteur positif pour les actionnaires puisque ceux-ci limitent leurs pertes à la baisse alors que leurs gains ne sont pas limités à la hausse.

     3 - L'approche par les options peut aussi être utilisée dans un autre contexte. Supposons qu'un actionnaire a vendu la majorité du capital d'une entreprise mais que les acquéreurs souhaitent qu'il conserve une minorité et prennent une part active à la gestion de l'entreprise. On peut imaginer dans ce cas que l'actionnaire devenu minoritaire bénéficie d'une option de vente à prix convenu afin de se prémunir contre des décisions négatives que pourrait prendre son nouvel actionnaire majoritaire.

4) Conclusion

Cette introduction rapide à la méthode des options n'a pas pour objectif d'épuiser le sujet. Certains auteurs considèrent que la théorie des options est pour le moment dans sa phase expérimentale mais qu’elle est appelée à prendre une importance grandissante dans l'analyse financière. Certains praticiens, par contre, considèrent qu'elle est davantage un outil conceptuel dont l'application pratique restera limitée. Sans prétendre trancher dans un débat qui reste ouvert, on peut cependant considérer qu'elle ouvre des perspectives intéressantes aux professionnels de l'évaluation d'entreprise.

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  * Robert C. Merton a été le premier à publier un article développant l'aspect mathématique d'un modèle d'évaluation d'option en citant les travaux de Fischer Black et de Myron Scholes. Ceux-ci, publiés en 1973, se fondent sur les développements de théoriciens comme Louis Bachelier ou encore Paul Samuelson. Le concept fondamental de Black et Scholes fut de mettre en rapport le prix implicite de l'option et les variations de prix de l'actif sous-jacent. Robert Merton et Myron Scholes reçurent en 1997 le « Prix Nobel d'économie » pour leurs travaux. Fischer Black, décédé en 1995 et donc inéligible, a été cité comme contributeur.